Deux hommes de bien by Pérez-Reverte Arturo

Deux hommes de bien by Pérez-Reverte Arturo

Auteur:Pérez-Reverte, Arturo [Pérez-Reverte, Arturo]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2017-05-14T22:00:00+00:00


Il est sept heures et demie du soir – une superbe pendule sur une console vient de faire entendre son double carillon – et trois serviteurs qui se déplacent aussi silencieusement que des chats mouchent les bougies des chandeliers qui éclairent tableaux et miroirs, multiplient les halos de lumière dorée dans le salon d’apparat de l’hôtel. Entre les invités on parle d’air déphlogistifié, selon le terme scientifique à la mode. On l’obtient, affirme quelqu’un, en chauffant de l’oxyde de mercure, et l’air qui en résulte est non seulement plus riche et plus vivace que l’air ordinaire, mais il augmente l’intensité de la flamme d’une bougie, et rend même la respiration plus légère et plus facile pendant un certain temps.

– Ce serait une affaire en or, conclut monsieur Mouchy, un physicien notable, professeur à l’université et membre de l’Académie des sciences, si l’on pouvait l’embouteiller et le vendre comme article de luxe… Qui n’aimerait pas respirer mieux, par les temps qui courent ?

Quelques rires courtois suivent, avec des commentaires saupoudrés d’esprit. Quelqu’un mentionne Lavoisier, son air vital et son air nitreux, et la conversation se poursuit sur le sujet. Assis dans le cercle de chaises et de fauteuils négligemment disposés sur un magnifique tapis turc, vêtu de très correctes couleurs sombres, don Hermógenes Molina, dont le français laisse à désirer, opine du chef avec un bon sourire quand il ne comprend pas quelque chose. Près du bibliothécaire, don Pedro Zárate, dans son frac bleu aux boutons d’acier et sa culotte de nankin blanche, se tient un peu à l’écart sur sa chaise, un rien compassé, et s’intéresse à l’atmosphère et aux personnes plus qu’à la conversation. Ou, plus exactement, à l’une des conversations, parce que trois groupes se sont formés dans le vaste salon des Dancenis, mêlant les dames coiffées et vêtues pour le dîner, les hommes en veste avec justaucorps ou gilet, dans des tonalités calmes et sombres, à quelques rares exceptions près : un frac par-ci, un uniforme par-là.

Le groupe le plus éloigné d’eux est celui des joueurs. Ils sont dans un petit salon adjacent, de l’autre côté de deux grands rideaux ouverts qui ménagent ainsi une enfilade ; il y a autour de la table de jeu le maître de maison et trois de ses invités, tous masculins, qui jouent au pharaon, et un autre, debout, qui les regarde : c’est l’abbé Bringas, qui ce soir a brossé sa vieille veste et un peu peigné sa perruque ; il va d’un groupe à un autre en laissant tomber un commentaire qui est immanquablement accueilli avec des plaisanteries ou une tolérance ironique. L’Amiral a retenu le nom d’un des joueurs, rencontré il y a quelques jours sur les Champs-Élysées, quand don Hermógenes et lui ont été présentés à madame Dancenis, que ce même homme accompagnait. Il s’appelle Coëtlegon, porte le ruban rouge de l’ordre de Saint-Louis et ressemble à ce que l’on appellerait en Espagne avec une certaine inexactitude un petimetre, un petit-maître à la mode : la quarantaine



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